
Le bouton d'amour ou la pointe de l'iceberg
31 mai 2016
Absent des traités d’anatomie jusqu’à plutôt récemment, le clitoris occupait pourtant durant l’Antiquité une place de choix, puisque l’on croyait alors que plaisir féminin et fécondité étaient indissociables. Quand la science a compris qu’il servait « uniquement » à l’orgasme féminin, le clitoris est disparu (!), pour être « redécouvert » dans les années… 1950 — il y a moins de 70 ans !
Qu’est-ce que le clitoris ?
Le clitoris est un organe interne féminin, possédant trois fois plus de terminaisons nerveuses que le pénis. De l’extérieur, on ne peut apercevoir que son extrémité — le gland — qui se dissimule sous un repli de peau — le capuchon — à l’intersection supérieure des petites lèvres vaginales. « Contrairement au pénis, il s’agit d’un organe dédié exclusivement au plaisir et non à la reproduction. », comme le définit Odile Buisson, gynécologue-obstétricienne et auteure du livre Qui a peur du point G.
La petite histoire du clitoris
Dès l’Antiquité, on sait que le clitoris joue un rôle essentiel dans le plaisir féminin. Jean-Claude Piquard, sexologue clinicien et auteur de La fabuleuse histoire du clitoris, raconte qu’au temps d’Hippocrate (env. 400 ans av. J.-C.), on croyait que la femme devait jouir pour être féconde — on croit alors que la femme possède une semence dans ses sécrétions vaginales durant le plaisir, la « cyprine », raison pour laquelle son orgasme serait essentiel à la procréation.
Jusqu’au Moyen-âge (et longtemps après, selon certains), les hommes étaient donc encouragés à faire jouir leur femme, et les médecins proposaient des traitements « pour favoriser la fertilité », comme « enduire d’huile parfumée un doigt et frotter le bouton d’amour dans un mouvement circulaire ».
Au XVIe siècle et les suivants, les planches d’anatomie semblent comprendre l’organe, y compris une partie de son parcours interne. Et Mirabeau écrira, en 1786, son fameux Le Rideau levé ou l’éducation de Laure (publié anonymement), une apologie de la masturbation et du plaisir féminins, où il fait dire à Sophie, 20 ans :
Retirez-vous, censeurs atrabilaires ;
Fuyez, dévots, hypocrites ou fous ;
Prudes, guenons, et vous, vieilles mégères :
Nos doux transports ne sont pas faits pour vous.
Petit clin d’œil : Au 19e siècle en France, la masturbation était également préconisée par certains pour soigner l’hystérie — maladie qui, croyait-on, n’affectait que les femmes, supposément associée à un blocage des « liquides sexuels ». Mais comme les femmes non mariées n’avaient pas le droit de se masturber (puritanisme oblige), les médecins se portaient volontaires et, raconte-t-on, réalisaient de très intéressants profits.
Disparition du clitoris
Une meilleure compréhension du mécanisme de la reproduction (vers les années 1850), et du constat que le clitoris, finalement… ne servait à « rien », aurait brisé le lien entre jouissance et fertilité et rejeté le clitoris dans l’oubli, suivi d’un certain obscurantisme à son égard. Les puritanismes religieux interdisant le coït sans volonté de procréation, le clitoris était vu comme une excroissance dangereuse et inutile, voire anormale — quelques-uns prônent même l’excision pour lutter contre la masturbation ou guérir la lascivité, la nymphomanie ou l’hystérie (encore elle). Paradoxalement, comme la croyance jouissance = fécondation perdure dans la population générale, il est encore recommandé de masturber sa partenaire si l’orgasme n’a pas eu lieu… Par la suite, en Occident, nous avons simplement retiré le mot clitoris du dictionnaire (!)
Au même titre que la contraception, qui concerne (ou concernait ?) principalement les femmes, et fut longtemps le parent pauvre de la recherche (on parle aujourd’hui d’une « pilule pour hommes »), le plaisir féminin ne serait pas pris au sérieux et le clitoris serait toujours « snobé » par la recherche médicale, de l’avis de Dre Buisson.
Renaissance du clitoris
Le clitoris fut « redécouvert » dans les années 50 par Alfred Kinsey (célèbre auteur de l’Échelle du même nom), et remis en valeur dans les années 60 par William Masters et Virginia Johnson, gynécologue et psychologue, pionniers de la sexologie et de l’étude de l’orgasme féminin, dont on a pu suivre l’histoire romancée dans la série télévisée Masters of Sex.
Croyez-le ou non, ce n’est qu’en 1998 qu’on a pu obtenir une première définition scientifique et exacte du clitoris, grâce aux recherches de l’urologue australienne Helen O’Connell.
Comment est fait le clitoris (pas comme vous pensez !)
Avant 1998, donc, on ne savait pas précisément comment le clitoris était constitué. Après avoir effectué la première dissection « validée » de cet organe, l’équipe médicale dirigée par Dre Helen O’Connell procédait, en 2005, à une résonance magnétique du clitoris, qui a permis de se faire une bien meilleure idée de ce qu’il en est.
Si vous pensez (encore) que le clitoris se limite au « petit bouton de rose » dont on parle parfois dans la poésie, vous faites erreur. La réalité est toute autre. Le clitoris est un organe mobile qui est constitué d’une double arche : l’arche formée des corps caverneux (de 12 à 15 cm !), et l’arche formée des bulbes, qui enserre partiellement le vagin.
Élodie Garbé
Orgasme clitoridien et/ou vaginal ?
Dans la littérature médicale, on évoque de plus en plus que la séparation entre ces deux formes d’orgasmes est abstraite, car en fait, les deux seraient liés. Dre Odile Buisson a démontré, au moyen d’une échographie du coït, qu’une femme peut atteindre l’orgasme pendant l’acte sexuel, même sans stimulation concomitante du clitoris : lors des mouvements périnéaux, le corps caverneux du clitoris vient se frotter à la partie antérieure du vagin et peut provoquer un orgasme « dit » vaginal (mais c’est le clitoris interne qui est stimulé), réputé plus voluptueux et plus intense. « Ce sont des perceptions, on ne sait pas si ces orgasmes sont en fait différents ou si l’orgasme vaginal est simplement [un orgasme clitoridien] plus fort », de dire Odile Buisson.
Comme l'écrit la chroniqueuse Camille Emmanuelle : « Arrêtons la "battle" clitoris vs vagin, et explorons avec joie et curiosité toutes les possibilités de plaisir que nous avons, petits mammifères érotiques que nous sommes. » En se protégeant adéquatement, bien entendu !
Le mot de la fin
Maintenant que l’on connaît la vraie nature du clitoris — et grâce à la réalisatrice Houda Benyamina, Caméra d’or à Cannes 2016, on peut se dire sans complexe «T’as du clito ! »
Άδάμας (unconquerable) 2014, sculpture de l’artiste Sophia Wallace