
La sexualité des aînés, par Janette Bertrand
Dans la série Le blogue #égalsexy
10 mai 2016
« À entendre parler les jeunes et à les voir agir, l’amour leur serait réservé. Passé soixante ans, « votre ticket n’est plus valable », comme l’écrivait Romain Gary. C’est faux. La performance sexuelle est réservée aux jeunes, pas le sexe. Et encore, le désir de chacun varie selon les individus.
Si, à soixante ans, on s’attend à faire l’amour aussi souvent et avec autant d’ardeur que lorsqu’on avait trente ans, on va être déçu. Ce n’est pas pareil ! La nature est ainsi faite que le désir de l’homme diminue avec l’âge, que son érection est plus difficile à obtenir et tient moins longtemps. Il bande encore, mais ce n’est plus pareil, ce ne sera plus jamais pareil. Le sommet du désir pour les hommes se situe vers les dix-huit ans, après il redescend. Celui de la femme est à son apogée vers la trentaine, et l’âge mûr ne diminue en rien sa propension à avoir du plaisir.
L’amour est tellement associé à la jeunesse des corps (dans la publicité, les magazines, le cinéma) que les jeunes rejettent l’idée que leurs parents font l’amour et encore plus celle d’une vie sexuelle chez leurs grands-parents. Cette pensée provoque chez eux des haut-le-cœur. Faut dire qu’ils n’ont pas vu souvent des vieux se caresser au cinéma et à la télé. Les caresses de vieux amants semblent plus indécentes que le plus hard des films pornos ! Quand voit-on des vieux se caresser à la télévision ? Rarement. Et ce sera toujours de façon très pudique. Des téléromans où des vieux seraient en vedette ne susciteraient pas de bonnes cotes d’écoute, paraît-il. Les vieux n’intéressent pas le grand public, à moins qu’ils soient comiques ou indignes. Je me demande si la peur de vieillir ne viendrait pas aussi de l’absence de modèles de couples qui s’aiment et se désirent.
Entendu d’un homme de quarante ans :
– Moi, si je ne peux plus faire l’amour à soixante-dix ans, j’aime mieux mourir.
Comme si, le matin de son anniversaire, son pénis allait refuser à tout jamais d’obéir à ses désirs, comme si la vie pouvait se résumer à bander ou à crever.
Entendu d’un homme de cinquante ans :
– Faut que j’en profite, parce que, après… c’est kaput.
Comme si vieillir et chasteté allaient de pair.
Oui, les hommes peuvent encore faire l’amour quand ils sont vieux, mais à condition de mettre de côté la performance, de délaisser le but pour apprécier le chemin parcouru ; il s’agit de préférer l’érotisme à la génitalité. Les femmes, elles, peuvent encore recevoir les caresses, les touchers qu’elles aiment, même si la peau n’a plus la fermeté d’hier, et elles peuvent jouir sans pénétration.
J’ai lu quelque part que soixante-quatre pour cent des vieux couples font encore l’amour. Pourquoi ? Parce qu’ils ont changé leur façon de s’aimer. Quand la performance n’est plus au rendez-vous, une sensualité s’installe, une tendresse, une connivence. On prend son temps, on se raffine, et si ça ne marche pas aujourd’hui, ça marchera demain. On a tout le temps.
Les vieilles épouses et les amantes qui ont préféré les hors-d’œuvre au plat principal toute leur vie sont comblées, celles qui ont encore un appétit sexuel, bien entendu. Quant aux hommes, l’éjaculation, l’orgasme n’étant plus des buts à atteindre, ils peuvent partir à la recherche de nouvelles zones érogènes. On se caresse, s’embrasse, se touche, se colle juste pour le plaisir d’être ensemble dans les bras l’un de l’autre. Bien oui, il faut changer son comportement sexuel ! L’incapacité de modifier son comportement sexuel à mesure que l’âge avance est l’ennemi numéro un des vieux couples.
Un autre homme m’a dit :
– Je n’ai plus de désir.
Mais de quel désir s’agit-il ? Il faut distinguer le désir de pénétrer du désir de caresses, de communication intime. Les couples qui ont enlevé d’un commun accord tout désir sexuel de leurs vies — il y en aurait beaucoup plus qu’on ne le pense — ne s’aiment pas moins ; c’est juste que le sexe ne leur sert plus à se prouver leur amour.
Le pire qui peut arriver, c’est quand l’un des deux a encore, malgré la vieillesse, une forte pulsion sexuelle. Si c’est l’homme, la femme peut toujours être passive, mais quand c’est la femme …
De toute façon, dans la sexualité, il n’y a pas que le sexe, car dans l’amour, il y a l’intimité. »
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Extrait du livre La vieillesse par une vraie vieille, paru aux éditions Libre Expression, 2016
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