
Des fantasmes et autres rêveries sensuelles
Par Dr Marc Steben
29 octobre 2015
Dans la foulée de l’affaire Ghomeshi, la question des fantasmes sexuels a rejailli sur toutes les tribunes, autant celles qui ont condamné d’emblée les pratiques sexuelles « atypiques » ou « inhabituelles » que celles des personnes se réclamant d’une telle sexualité, mais dans les limites de « l’acceptable ». Cependant, dans les faits, qu’est-ce qu’une fantaisie normale ou « déviante » ?
Fantasme « normal » ou « pathologique » ?
Cherchant à « spécifier » la norme en matière de fantasmes sexuels, le Dr Christian C. Joyal et une équipe de chercheurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières et de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal se sont questionnés sur la définition de « comportements sexuels pathologiques » et ont mené une étude au Québec dont les résultats ont été publiés dans le Journal of Sexual Medicine. Première constatation : il semble que les fantasmes sexuels dits « communs » soient beaucoup plus nombreux que les fantasmes « inhabituels », et cela, tant chez les femmes que chez les hommes.
« Cliniquement, on sait bien ce qu’est un fantasme sexuel pathologique : il implique des partenaires non consentants, il induit une souffrance ou encore il est absolument nécessaire pour obtenir satisfaction. Mais à part cela, qu’est-ce qu’un fantasme anormal ou atypique au juste ? Pour le savoir, nous avons demandé à des gens de la population générale, aussi simple que ça ! », a expliqué le Dr Joyal.
L’étude a notamment démontré que les fantasmes de domination et de soumission sont rapportés autant par les femmes que par les hommes, et souvent par la même personne, ce qui va à l’encontre du cliché « dominant/soumis ». Ainsi que quelques différences entre les sexes : les femmes ne souhaitent pas nécessairement vivre leurs fantasmes. Par exemple, la moitié de celles déclarant un fantasme de soumission ont indiqué ne pas vouloir le réaliser, alors que les hommes qui rêvent de faire l’amour à trois ont plus envie que ça se concrétise.
« Comme on le soupçonnait, il y a beaucoup plus de fantasmes communs que de fantasmes atypiques », a souligné le Dr Joyal.
Échantillonnage et questionnaire
Les participants à l’étude ont été recrutés au moyen d’annonces, émissions de radio, journaux locaux et magazines, Facebook, rencontres de personnes âgées, bouche-à-oreille et listes d’envoi universitaires. 799 (52,7 %) des participants étaient des femmes, ce qui se rapproche de la réalité démographique québécoise. À d’autres égards, l’échantillon était moins représentatif de la population : la majorité des répondants (85,1 %) se sont décrits comme étant hétérosexuels, et 3,6 % comme étant homosexuels, les autres se disant bisexuels. Ils devaient répondre aux 55 questions du questionnaire en indiquant leur niveau d’intensité et d’intérêt, de 1 (pas du tout) à 7 (très fort). Des questions ouvertes, à la fin du questionnaire, permettaient aux participants de décrire leurs fantasmes préférés.
Catégories de fantasmes
Un fantasme sexuel a été défini comme étant « rare » si moins de 2,3 % des participants le partageaient. Comme étant « inhabituel » s’il était partagé par moins de 15,9 % des participants, comme étant « commun » s’il était partagé par plus de 50 % des participants, et comme « typique » s’il était partagé par plus de 84,1 % des participants.
Fantasmes typiques, inhabituels ou rares
Seuls cinq fantasmes sexuels ont été qualifiés comme étant typiques : ressentir une émotion romantique pendant les relations sexuelles, se retrouver dans une situation où l’atmosphère et l’endroit choisi sont importants, se retrouver dans un endroit romantique, recevoir du sexe oral, et pour les hommes, avoir une relation avec deux femmes.
Parmi les fantasmes inhabituels chez les femmes : uriner sur son partenaire sexuel ou se faire uriner dessus, porter des vêtements du sexe opposé, avoir une relation sans consentement, avoir une relation avec un prostitué, une personne intoxiquée, ou avec une femme avec de tout-petits seins. Chez les hommes, les fantasmes inhabituels étaient d’uriner sur leur partenaire sexuel (le) ou se faire uriner dessus, avoir une relation avec deux hommes, ou avec plus de trois hommes.
Deux fantasmes ont été identifiés comme étant rares : avoir une relation sexuelle avec un jeune enfant ou avec un animal.
Parmi les autres fantasmes, 23 étaient « communs » chez les hommes, et 11 chez les femmes.
Soumission et domination
Un nombre significatif de femmes (entre 28,9 % et 64,6 %) ont rapporté des fantasmes associés à la soumission sexuelle, une proportion similaire chez les hommes. Ce fantasme était significativement corrélé avec celui de domination, qui s’est avéré être un facteur de prédiction important quant au score total de fantasme.
Score de fantasmes !
Les hommes ont obtenu un score de fantasmes sexuels plus élevé que les femmes (153,7 ± 56 c. 114,9 ± 57; P < ,0001). Les différences les plus notoires entre les sexes : avoir des émotions romantiques pendant l’acte sexuel, recevoir du sexe oral, avoir une relation hors de la relation de couple et expérimenter le sexe anal. À peu près un tiers des femmes ont eu des fantasmes d’activités homosexuelles, même si seulement 19 % d’entre elles se sont déclarées bisexuelles. Chez les hommes, environ 25 % ont eu des fantasmes homosexuels, alors que 89,5 % d’entre eux se sont déclarés hétérosexuels.
Alors, qu’est-ce qui est pathologique ?
Selon le Dr Richard Krueger, professeur au département de psychiatrie de la Columbia University College of Physicians and Surgeons à New York, ce qui détermine qu’un fantasme est pathologique, c’est « la présence de détresse, de dysfonctions ou relations sexuelles sans consentement ». Selon lui, l’étude du Dr Joyal comporterait certaines limites, car l’échantillon serait non représentatif de la population en général, mais il juge intéressant de constater à quel point un grand nombre de fantasmes sexuels sont communs.
Le mot de la fin
Selon le Dr Krueger, parce qu’il facilite la connexion et l’échange, Internet aurait une influence sur le développement et l’expression de comportements sexuels atypiques… mais sont-ils pathologiques ? D’où l’importance d’études comme celles du Dr Joyal, où en tentant de spécifier la norme, on s’approche d’une définition de l’atypique, et ce n’est pas nécessairement ce que l’on pensait.
Sources :
Sexual Fantasies: What’s ’Pathologic’?
Medscape, Nov 06, 2014
Fantasmes sexuels : êtes-vous normal ?
IUESM, 31 octobre 2014