
Je me suis demandé pourquoi j’avais peur, par Guillaume Lambert
Dans la série Le blogue #égalsexy
16 mai 2016
Je me suis demandé pourquoi j’avais peur.
Pourquoi j’avais peur de prendre la parole ici, simplement. Pourquoi j’avais peur d’aller au kiss in du 9 mai 2016.
Peut-être est-ce ma carrière publique. Peut-être parce que j’ai été conditionné à me faire dire « si tu t’affiches, tu ne joueras que des rôles des gais, ta carrière va en souffrir ». Peut-être que j’ai peur de l’étiquette. Peut-être parce que j’ai peur d’être associé à la cause LGBT, d’en devenir un porte-parole maladroit et confus. Ce sont de fausses peurs : ma vie privée ne regarde personne. Bien sûr que ma carrière est publique, c’est ce que j’ai choisi, bien sûr que je devrais être libre d’être qui je suis, simplement, sans me cacher derrière un personnage en dehors de mon travail de comédien.
Mais la peur est là.
Je suis aussi auteur. J’ai écrit un roman, une fiction, « Satyriasis (mes années romantiques) », publié à l’automne 2015. Le narrateur anonyme, souffrant d’une peine d’amour avec un homme, y adopte des comportements sexuels à risque avec des individus, rencontrés au hasard de la vie. C’est trendy, on appelle maintenant ça le « sexorcisme », un comportement autodestructeur qui consiste à enchaîner les partenaires sexuels pour oublier l’amant initial. Ça faisait une bonne histoire, on m’a même dit que c’était in d’être out, que mon roman devrait bien se vendre, mais je rectifie ici que ce n’est pas un mode de vie, le « sexorcisme », et que le narrateur, en quête de romantisme, s’y perd, y perd sa raison. Ce livre, c’est une tragédie contemporaine, ce n’est pas « l’exemple », ce n’est pas une forme d’émancipation, c’est un regard sur ma génération qui se cherche en cherchant d’abord « l’autre ». Ce roman, c’était un lent exorcisme face à mes propres doutes. Puis, on m’a invité à une émission de radio en tant « qu’auteur gai ». Soudainement, j’avais une étiquette, j’étais devenu un spécialiste, et j’avais peur du rôle qu’on me proposait, de la responsabilité qui venait avec. Je ne suis qu’un observateur : après tout, c’est que font les artistes, les auteurs : ils observent et ils décrivent. Je ne suis pas un spécialiste, et je ne veux pas l’être. Des tas de gens, inconnus du grand public, le font et le feront toujours mieux que moi.
Dans une entrevue filmée, un animateur me demandait maladroitement, après que nous ayons discuté de mon roman : « Et toi, c’est quoi ton application préférée : Grindr, Scruff, Hornet » ? Comme si on me demandait « mes bonnes adresses à Montréal ». J’étais figé, je devais répondre quelque chose, le public attendait. C’est comme si, de toute évidence, j’étais un utilisateur de ces applications (je l’ai déjà été, mais cette époque est révolue, ces applications ont modifié considérablement nos rapports sociaux et affectifs, il faut retourner flâner dans les parcs au soleil et dans les cafés et rencontrer de vrais individus, il faut rencontrer « l’ami de cet ami dont on a tant entendu parler », des gens qui méritent encore l’étiquette « humain »). Ces applications ont fait de nous des prédateurs, des consommateurs de l’autre. Sa propre solitude ou son ennui ne sont pas des excuses pour le rejet et la violence psychologique qu’elles nous font trop souvent subir.
L’autre fois, j’allais à la clinique pour un test de dépistage, et mon docteur me faisait remarquer que les patients étaient presque tous sur Grindr, Scruff, Hornet, en pleine salle d’attente. C’est un non-sens, quand on y pense.
J’étais dans un bar gai et un homme m’a dit : « moi et mes amis sommes fiers que tu fasses partie des nôtres », et il m’a glissé la main dans le dos, en me pointant ses amis, qui me dévisageaient. J’en ai eu des frissons. Mon roman les avait titillés, il n’y avait plus de limites entre la fiction et la réalité. D’une certaine façon, devenir public faisait en sorte que je leur appartenais. Je ne sais pas encore où poser mes limites avec les gens, j’ai trop peur de décevoir ou de déplaire. J’apprends.
J’écris présentement une fiction pour le web qui s’intitule « L’âge adulte » et elle sera en ligne sur Ici Tou.TV d’ici un an. L’histoire met en scène un jeune homme « parfait » aux yeux de tous : hétéro, blanc, carriériste, qui, du jour au lendemain, suite à un bref coma, remet tout en question : son mariage, son emploi, sa vie, son orientation sexuelle. Et simplement, il s’affranchira de ses doutes pour devenir qui il est vraiment, indépendamment du jugement des autres. Son changement de vie aura des répercussions sur presque tous les membres de son entourage, pour le mieux. Contrairement au narrateur de mon roman, celui-là ne va pas s’autodétruire, ce seront ceux qui n’accepteront pas sa décision qui se perdront.
Aux États-Unis, il y a l’excellente série Transparent, de laquelle je m’inspire largement pour le ton et les dialogues. Il y a aussi le très bon documentaire Gaycation, où Ellen Page et son ami Ian Daniel nous font découvrir la réalité LGBT des États-Unis et d’ailleurs en visitant différents pays. Ces œuvres, importantes, montrent une ouverture à une diversité saine dans l’opinion publique sans passer par un auditoire uniquement LGBT.
Je lisais les commentaires sous l’article qui dénonçait la violence dont avaient été victimes deux hommes dans HOMA, événement qui allait mener au kiss in du 9 mai 2016. Bien qu’il y ait eu quelques « bravo les gars d’avoir porté plainte » et des « vivre et laisser vivre, c’est pas compliqué », il y avait majoritairement des commentaires homophobes, que le journal en question n’a pas cru bon de supprimer des médias sociaux.
Évidemment, s’ils étaient questionnés sur leurs propos, ces lecteurs qui ont fait ces commentaires diraient quelque chose comme « c’est mon opinion » et invoqueront à mal escient le trop facile argument de la liberté d’expression et des libertés individuelles (un paradoxe avec l’événement en question, quand on y pense). Le journal, lui, s’en est lavé les mains : ils préfèrent que les gens s’expriment comme ils le veulent et qu’ils partagent l’article sur les réseaux sociaux. Nous disons à qui veut bien l’entendre que nous ne pouvons cautionner aucune forme de violence, et pourtant, la violence est partout, à droite et à gauche, sournoise.
J’admire les gens qui sont allés à ce kiss in, en espérant que cette vague d’amour a su toucher les gens de façon universelle, indépendamment du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’âge, de la race, de la classe sociale (mais je vous épargne ici les commentaires haineux publiés à la suite de l’événement). J’espère que ce kiss in aura un tant soit peu transformé les mentalités de part et d’autre, pour le mieux. Moi, je n’avais pas le courage d’y aller, j’en tremblais, même. J’avais l’impression que j’allais me jeter dans la fosse aux lions.
Car, malheureusement, j’ai encore peur. Nous sommes à une époque où tout se transforme en spectacle, sous le couvert du « débat social ». Pour le moment, malheureusement, moi, je suis un artiste qui a peur du spectacle. Ou peut-être ai-je simplement peur de la réalité, et je me cache encore derrière la fiction.
Guillaume Lambert
Comédien et scénariste
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Guillaume Lambert a travaillé avec le chorégraphe Dave St-Pierre pour LE CYCLE DE LA BOUCHERIE en 2011. Au cinéma, il a tourné pour la réalisatrice Chloé Robichaud sur le court métrage CHEF DE MEUTE, en compétition à Cannes en 2012. Il a créé son premier solo théâtral à l’hiver 2015, LE GUILLAUME LAMBERT SHOW, en collaboration avec la chorégraphe Sarah-Ève Grant-Lefebvre. À la télévision, on a pu le voir dans LA THÉORIE DU K.O., CES GARS-LÀ et SÉRIE NOIRE II, mais il a surtout interprété Patrice Lacroix dans les saisons 2 et 3 de la série NOUVELLE ADRESSE (réal. : Rafaël Ouellet). Il est de la distribution de la comédie à sketches LIKE-MOI!, en ondes depuis janvier 2016 à Télé-Québec et écrite par Marc Brunet.
Également scénariste, il a été auteur à sketches sur LES PARENT. Il a signé la websérie TOUT LE MONDE FRENCHE, diffusée à l’automne 2014 sur Lib TV, et travaille aussi sur le projet FICTION NOUVELLE de Pixcom. Son court métrage TOUTES DES CONNES (réal. : François Jaros), dans lequel il tient le rôle principal, était en compétition officielle à Sundance et Telluride en 2014, en plus d’avoir remporté le Jutra du meilleur court métrage en 2015. Chez Leméac, il a publié à l’automne 2015 son premier roman, SATYRIASIS (MES ANNÉES ROMANTIQUES).
Source : Agence Artistique Chantal David
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Crédit photo de Guillaume Lambert : Justine Latour, 2015